La circulation des choses en droit civil

circulationIl en est ainsi lorsque les choses sont  transmises et quand, du fait de cette circulation, elles sont à l’origine d’un dommage.

  •  La transmission des choses

Sont visée ici deux situations de transmission des choses. La première est relative à l’extra commercialité de certaines choses qui révèle une interdiction à l’impact plus limité qu’il n’y parait. La seconde porte sur la subrogation dont les multiples applications sont en elle-même la preuve de la plasticité de la transmission des choses.

Il est, en effet, fait état à de nombreuses reprises dans le Code civil de choses hors du commerce. Ce sont des choses qui ne peuvent être l’objet de convention (article 1128), qui ne peuvent être vendues (1598) ni prêtées (1878) ni acquises par prescription (2228). Ainsi l’article 1128 dispose qu’«il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet de conventions ». Une chose hors commerce est donc une chose que la société retire de la circulation juridique et qui ne peut être l’objet d’aucun contrat. Sont principalement visées les choses qui ont un caractère sacré ou intimement et nécessairement lié à la personne comme le corps humain, l’aspect moral des droits de la personnalité, les tombeaux et sépultures. Il en est de même pour les choses qui constituent un attribut de la souveraineté comme le droit de vote ou les investitures politiques. Ou bien encore les substances et choses dangereuses comme les armes ou encore la drogue. Le contenu du commerce juridique varie selon  les époques et à l’évidence dans notre société marchande, cette catégorie des choses hors commerce a tendance à reculer à l’instar de l’admission de la cession des clientèles civiles. Néanmoins, il n’en reste pas moins qu’il existe encore aujourd’hui des choses dites hors commerce, que l’on songe, par exemple, à l’admission récente dans cette catégorie de la gestation pour autrui (AP 31/05/99) .

Encore faut il, toutefois, s’entendre sur cette notion d’extra commercialité qui est, dans la réalité, bien plus relative qu’elle n’y parait, assouplissant de fait considérablement l’interdiction générale. En effet, dire qu’une chose est hors du commerce peut simplement signifier qu’elle « répugne à une inclusion dans la société marchande » pour reprendre l’expression de François Terré. De fait, certaines choses sont hors commerce mais peuvent tout de même faire l’objet d’une circulation juridique par le biais d’actes à titre gratuit. On distingue alors le commerce au sens marchand du terme et le commerce simplement juridique exercé par actes à titre gratuit. Le meilleur exemple de ce type de choses se trouve à l’article 16-5 du Code civil qui dispose que « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles ». A l’évidence, ces choses sont hors du commerce marchand mais elles peuvent tout de même circuler par le biais du don qui est non seulement autorisé mais même encouragé. Ces biens sont hors du marché mais restent quand même susceptibles de faire l’objet de certains types de contrats comme les donations.

On retrouve la même relativité pour ce qui concerne les choses hors du commerce parce qu’elles sont dangereuses. Il existe des évictions générales comme celles relatives aux produits contenant de l’amiante (décret du 24/09/1990) mais le commerce de la plupart des choses dangereuses pour la santé ou la sécurité n’est pas totalement interdit, il est simplement contrôlé et réservé à certaines personnes. Dans ce second cas de figure, il semble difficile de prétendre que ces choses sont réellement hors commerce.

Les hypothèses de subrogation sont en elles mêmes révélatrices de la souplesse admise en matière de transmission de la chose. La subrogation s’entend, en effet, du remplacement d’un bien ancien par un bien nouveau et la plasticité du droit est visible dans la mesure ou il est admis que le bien nouveau sera, à certains égards, soumis au même régime juridique que lui en ce sens que les droits qui portaient sur le premier sont reportés sur le second. Elle peut fonctionner dans deux séries d’hypothèses, encore que la doctrine milite pour une application plus étendue, ainsi elle est admise dans les universalités dans la mesure où elles ne sont pas altérées par les variations de leur contenu et quand il ne s’agit que d’un bien ou d’un groupe de biens, que lorsque la loi l’a ordonné ou que la volonté individuelle l’a prévu. Il en est ainsi par exemple en matière d’usufruit avec l’alinéa 2 de l’article 624 qui prévoit qu’en cas de destruction du bâtiment, si l’usufruit portait sur le domaine, il est reporté sur le sol et les matériaux. Ainsi aussi, si des marchandises affectées en gage sont détruites, le créancier reportera son droit sur des marchandises ou les espèces monétaires de remplacement, la chose a changé mais est soumise aux mêmes droits. De même, en matière de régimes matrimoniaux, si les formalités d’emploi ou de remploi sont remplies (article 1434), elles permettent à un bien acheté avec de l’argent propre ou avec le produit de la vente d’un propre, d’être propre lui-même alors que normalement un bien acquis pendant la durée du régime est commun. La subrogation réelle peut même avoir pour effet de corriger le critère physique de la classification des meubles et des immeubles en permettant à un meuble d’être soumis au même régime de l’immeuble qu’il remplace. Ainsi, en cas de destruction d’un immeuble hypothéqué, les droits des créanciers vont pouvoir se reporter sur l’indemnité du propriétaire, subrogée à l’immeuble. Or, une indemnité est par nature un meuble qui ne peut normalement être grevé d’hypothèques. L’assouplissement est, ici, particulièrement patent.

Aussi, la transmission des choses est aussi révélatrice d’une plasticité certaine du droit civil qui admet parfois de nuancer ses propres interdictions et qualifications pour répondre aux exigences sociales. On retrouve la même souplesse pour ce qui concerne la réparation des dommages causés par les choses en circulation.

  •  La responsabilité du fait des choses

Le Code civil de 1804 n’avait prévu que deux cas de responsabilité du fait des choses, celle du fait des animaux à l’article 1385 et celle des bâtiments défectueux à l’article 1386. Mais face aux transformations techniques, industrielles et scientifiques à l’origine de dommages très nombreux et variés, le droit civil a dû s’adapter et cette souplesse se caractérise par une appréciation de plus en plus extensive des choses susceptibles de causer un dommage et d’engager la responsabilité de leurs propriétaires ou producteurs.

La première grande extension est relative à l’admission du principe général de responsabilité du fait des choses sur le fondement de l’article 1384 alinéa 1 dans l’arrêt Theffaine de 1896., responsabilité qui sera qualifiée d’objective dans l’arrêt Jand’heur de 1930. Il y a, en effet, extension considérable de la notion de chose susceptible de causer un dommage car elle ne se résume plus aux animaux et bâtiments en ruines mais englobe tous les biens mobiliers et immobiliers. En effet, la notion de chose visée à l’article 1384 alinéa 1 est tellement large qu’il vaut mieux procéder par exclusion. Sont donc exclus de cette catégorie, les biens visés par d’autres textes (animaux et bâtiments en ruine, véhicules terrestres à moteur selon la loi de 1985, téléphériques..), les choses non appropriées et le corps humain. Peu importe que la chose soit dangereuse ou pas et peu importe son caractère inerte ou mouvant même si cette distinction joue un rôle important dans la preuve du rôle actif de la chose. Néanmoins, ce régime général, malgré l’extension réalisée, reste soumis à l’exigence d’un bien meuble ou immeuble susceptible d’être gardé.

Il en est plus de même pour ce qui relève de la responsabilité du fait des produits défectueux, régime spécial de la responsabilité du fait des choses, issue de la loi du 19 mai 1998 transposant la directive du 25 juillet 1985. Peu importe, en effet, la qualification de la chose, ce régime s’extrait des classifications traditionnelles du droit civil en exigeant simplement un produit. En effet, la notion de produit de l’article 1386-3 bien qu’elle soit réservée exclusivement aux meubles, transcende largement les distinctions civilistes des meubles entre eux. Les choses mobilières les plus diverses peuvent être comprises dans le champs du régime spécial à l’instar des produits agricoles, pourtant non prévus par la directive. Surtout, non seulement le régime n’est pas limité au domaine de la production industrielle mais la loi ne formule pas d’exclusion relative à la nature ou à la destination des choses susceptibles d’être qualifiées de produits. Il semble ainsi acquis qu’elle tienne pour produits, les éléments et produits du corps humain qui sont visés directement par l’article 1386-12 pour être soumis à un régime dérogatoire d’exonération. Pourtant on a vu que ces choses sont considérées hors du commerce marchand par l’article 16-5 du Code civil. Plus généralement, sont inclus les produits de santé, y compris les médicaments qui ne sont pourtant pas, à l’évidence, des produits comme les autres. Enfin, l’application du régime n’est pas limitée aux seules choses corporelles puisque l’électricité figure expressément à l’article 1386-3 et que d’autres substances, comme le gaz, doivent pouvoir donner lieu à responsabilité sur ce titre. Néanmoins, si la définition du produit apparaît comme particulièrement large, une restriction de taille est apportée par le fait que ce produit doit avoir été mis en circulation, fait générateur de la responsabilité du producteur.

Aussi, faut il ne pas se fier aux apparences en matière de choses. Derrière l’aspect rigide des classifications, qualifications, interdictions, inclusions et exclusions des choses, se dissimule en réalité une véritable adaptabilité du droit civil qui fait montre de souplesse pour répondre aux exigences pratiques. Il reste, néanmoins, que cette souplesse connaît et doit connaître des limites. La tentation est grande, dans une société de consommation, d’assouplir au maximum la distinction entre personne et chose et de permettre la commercialité marchande du plus grand nombre possible de choses (entendues ici au sens très large). Il appartient alors à l’ordre public et aux bonnes moeurs de jouer leur rôle de garde fou.

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