L’ALTRUISME EN DROIT PENAL – PARTIE 6

B) L’altruisme condamné

Le droit pénal vient, en effet, incriminer les actes altruistes quand ils s’opposent à une valeur sociale protégée. L’assertion peut paraître paradoxale car il est difficile de concevoir qu’un acte généreux et désintéressé puisse être socialement répréhensible. Mais cela serait oublier le fondement utilitariste et non moral du droit pénal qui le conduit à rechercher la satisfaction du plus grand nombre et non de chaque particulier. Le droit pénal poursuit un objectif d’intérêt général qui peut entrer en contradiction avec les intérêts particuliers induits.

Il en est ainsi dans l’hypothèse de trois incriminations : les formes d’euthanasie dites « actives », l’abandon d’enfant postérieure à une convention de mère porteuse et le délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France. Ce dernier exemple est particulièrement parlant puisqu’il s’agit bien d’incriminer une « aide ». En effet, est punissable de 5 ans d’emprisonnement et de 30 000 euro d’amende,selon l’article 21 de l’ordonnance du 2 novembre 1945, le fait « par aide directe ou indirecte,[d’avoir] facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France ». Il faut réserver, ici, l’hypothèse d’une action totalement gratuite et seulement motivée par le souhait d’aider des personnes en difficulté qui s’oppose, néanmoins à la réglementation relative à la maîtrise de l’immigration. Il en est, de même, pour l’incrimination de l’article 227-12 qui sanctionne pénalement la convention, même à titre gratuit, de maternité de substitution, déjà considérée par l’article16-7 du Code civil comme nulle. C’est ici, le respect de l’intégrité du corps humain qui vient justifier la sanction de ce type d’action.

Mais c’est peut être l’incrimination de l’euthanasie « active » sous les qualifications d’assassinat (221-3) ou d’empoisonnement (221-5) qui résout le mieux le paradoxe de la sanction pénale de l’acte altruiste. En effet, si la loi du 22 avril 2005 justifie l’incrimination de non assistance à personne en danger en permettant au médecin de ne pas poursuivre de traitement curatif, il ne lui est à aucun moment permis de provoquer la mort de son patient notamment par l’injection d’une substance létale. La dignité humaine permet de justifier l’acte altruiste de « laisser mourir » mais n’est pas suffisamment importante pour justifier le « faire mourir » qui entre en contradiction avec la valeur première du droit pénal : la vie humaine. Cette contradiction entre intérêt général et intérêt privé est, néanmoins, résolue dans les faits . On sait, en effet, qu’il est extrêmement rare que des condamnations pénales soient prononcées pour ce type d’actes soit en raison d’un non lieu au stade des poursuites soit du fait d’une relaxe ou d’un acquittement. Ainsi si, en droit, subsiste ce paradoxe de l’incrimination d’un acte altruiste, il est résolu, dans les faits, par cette forme de dépénalisation officieuse. Cette situation est critiquable et il aurait été préférable de retenir la proposition de la création d’une « exception d’euthanasie » par le Comité national consultatif d’éthique qui avait le mérite de permettre une vérification judiciaire, au cas par cas, du caractère réellement altruiste de l’acte, sans qu’il soit porté légalement atteinte à la protection de la vie humaine.

Ainsi la rareté de la coïncidence entre valeur sociale protégée d’ordre supérieur et acte altruiste explique que le droit pénal n’incite que très ponctuellement à l’acte altruiste qu’il considère le plus souvent avec indifférence. Il ne faut certainement pas en conclure que le droit pénal est un droit d’égoïste car ce traitement de l’acte altruiste s’explique, au contraire,par l’exigence de prise en compte de l’intérêt général avant l’intérêt privé de chacun.L’individu n’est pas une nomade isolée et l’organisation sociale exige des règles qui en recherchant la satisfaction du plus grand nombre peuvent porter atteinte à l’intérêt particulier.

Et finalement qu’en est il réellement de la morale de l’acte altruiste quand en faisant le bien d’autrui, on porte atteinte aux valeurs collectives ? La morale est une notion très relative et il convient, à ce titre, de rappeler que les incriminations d’omission d’empêcher certains crimesou délits ou de porter secours à personne en péril, dont le fondement moral est aujourd’hui indéniable, proviennent d’une loi du 25 octobre 1941 destinée à garantir la délation des résistants et la protection des nazis.

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