Décentralisation : une notion spécifique

léon duguitLéon Duguit écrivait que la décentralisation proprement dite est inconciliable avec l’indivisibilité et la souveraineté d’un Etat unitaire. Longtemps, on a considéré que les deux étaient incompatibles. A l’origine, on avait un Etat qui était obligatoirement force, central. L’ouverture à la décentralisation, à la pluralité, va de pair avec l’ouverture avec un droit moins central, moins coercitif. On a une vision d’un droit moins national qui va s’ouvrir à d’autres besoins locaux progressivement.

Léon Duguit : pour lui, la décentralisation apparaît comme contraire, inconciliable avec un Etat unitaire. Mais il va par la suite admettre qu’il puisse y avoir une décentralisation très résiduelle. Il s’inscrit dans le positivisme juridique : théorie qui vient d’Allemagne et qui fait de l’Etat une concrétisation de la force. L’Etat est le résultat d’une lutte. L’Etat va donc avoir besoin d’un ordre normatif, juridique pour prendre des décisions et les exécuter. Il n’existe qu’un droit. C’est celui de l’Etat. L’Etat a le pouvoir le normatif et le pouvoir d’exécuter les actes (pouvoir de contrainte). On a donc un Etat omnipotent. Il n’y a donc pas de place pour des intérêts locaux. Seul l’Etat peut avoir des droits. Les CT ne peuvent pas avoir des droits car elles ne sont pas des personnes. Mais Léon Duguit va admettre que puisse exister une décentralisation mais très résiduelle. Il admet qu’au sein des CT puissent exister certains agents qui sont placés hors de la hiérarchie centrale et qui vont avoir certaines compétences très ponctuelles. Les agents restent néanmoins contrôlés par l’Etat. Mais Duguit parle aussi de décentralisation par pays dans ses écrits. Il semble reconnaître qu’existent des affaires locales. Mais cela reste quand même très résiduel. Donc les agents pourraient avoir des affaires locales à traiter du moment que l’Etat les concède. Il n’y a pas de droit local concédé réellement.

Raymond Carré de Malberg : il s’inscrit aussi dans le positivisme juridique mais cette théorie n’a pas été reprise telle qu’elle en France. On part d’un Etat puissant, d’un Etat en domination. Mais il reconnaît que cet Etat unitaire peut reconnaître des compétences infra étatiques en son sein à des autorités locales, que celles-ci disposeraient de droits propres. Néanmoins, tout cela n’est possible que parce que l’Etat a bien voulu déléguer ces compétences. Ce sont des droits propres mais pas originaires. On est toujours dans un lien de permission de l’Etat.

Charles Eisenmann : pour lui, l’Etat reste centralisé, mais connaît des mouvements de décentralisation. Pour lui, la décentralisation est un phénomène en mouvement dont le degré va varier en fonction des époques, en fonction des intérêts, des circonstances. Donc pour lui, un Etat unitaire est plus ou moins décentralisé. Cela fait partie intégrante de l’Etat unitaire. Eisenmann rompt avec le principe d’un Etat qui ne serait qu’unitaire. On a une vision moins dialectique, moins binaire. Il parle d’une palette de différentes situations qui peuvent exister. Cela va de la centralisation pure et parfaite à une décentralisation où il existerait que des ordres juridiques fractionnés. Entre ces deux extrêmes, on a tout un échelonnement de situations : ex : centralisation participative, centralisation associative, la semi centralisation… C’est une évolution normative de la décentralisation.

C’est une théorie qui aura permis d’inscrire la décentralisation dans l’Etat unitaire. Aujourd’hui, on peut dire que tout Etat est à la fois unitaire et décentralisé.

La décentralisation est aujourd’hui définie comme le transfert de compétences de l’Etat vers des autorités décentralisés, c’est-à-dire des entités infra étatiques dotées d’une personnalité juridique distincte de celle de l’Etat. Ce sont aussi des autorités qui s’administrent par des organes élus et sous le contrôle de l’Etat. C’est donc Charles Eisenmann qui le premier a théorisé cette décentralisation. Pour lui, il faisait déjà le postulat qu’il existait un organe central et un organe non central. Un organe central est un organe qui peut édicter des actes à l’égard de toute la collectivité sans distinction. A l’inverse, un organe non central est un organe qui a un pouvoir normatif qu’à l’égard d’une partie des membres de la collectivité. Le caractère central ou non central se défini par rapport à l’étendue des personnes. En même temps, cette définition renvoie au caractère unique ou non de l’organe. Il ne peut y avoir qu’un organe central. S’il y a organe central, il ne peut être qu’unique. Cependant, il peut y avoir une pluralité d’organes non centraux, lesquels ont des compétences limitées. Il y a donc décentralisation quant il y a pluralité d’organes non centraux. On peut se poser la question de la structure de l’Etat. Eisenmann estime que l’alternative organe central et organe non central ne concerne pas uniquement que l’Etat.

Aujourd’hui, la décentralisation apparaît comme un élément correcteur à cet Etat unitaire. La décentralisation serait donc un correctif. Pour Maurice Hauriou, on a un Etat qui s’est crée en se superposant aux institutions primaires (anciennes collectivités), en les subordonnant à sa volonté, voir en les supprimant. Et puis, la décentralisation deviendrait nécessaire pour retourner à un certain équilibre, pour éviter l’asphyxie. Juridiquement, il est vrai que le plus souvent aujourd’hui la décentralisation est présentée comme une réponse à la crise de l’Etat unitaire. Mais en fait, tout cela pour simplement conserver sa puissance. Les CT resteraient en fait subordonnées à l’Etat unitaire. Donc pour certains, la décentralisation ne serait pas un véritable partage des pouvoirs, mais en fait une création de l’Etat qui lui permettrait de conserver sa puissance tout en permettant une certaine gestion du quotidien à des collectivités qu’il contrôle. Pour certains, on ne serait pas dans une réelle décentralisation, mais dans une semi décentralisation car il existe toujours une déconcentration qui vient freiner ou rééquilibrer une trop grande décentralisation. De plus, semi décentralisation car l’Etat ne transférait pas de vrais pouvoirs importants qu’il garderait. De même, il est toujours loisible à l’Etat de reprendre une compétence qu’il a transféré à une CT car c’est inscrit dans une loi, ou d’imposer une volonté étatique au nom de l’intérêt général. Enfin, semi décentralisation car les compétences transférées concernent des compétences secondaires. Pour certains, la décentralisation ne serait en fait qu’une forme de centralisation imparfaite, selon laquelle la décentralisation est aux mains de l’Etat. A l’heure actuelle, on estime qu’il y aurait donc seulement une semi décentralisation.

Certains ont estimé que le principe de libre administration des Collectivtés Territoriales n’était donc pas un réel principe, mais devait être plutôt entendu comme une dérogation au principe de l’unité de l’Etat. Il y aurait donc en France une semi décentralisation (Eisenmann) qui se caractérise par différents éléments : par la définition d’affaires locales, par le fait que les CT ne sont que des véritables exécutants des décisions de l’Etat. A l’inverse une véritable décentralisation verrait les CT érigées en partenaire de l’Etat. Il y aurait l’existence de cercles concentriques d’intérêts et non pas un ordre vertical au sommet duquel on trouverait l’ordre national qui primerait. Donc tant que les CT n’agissent que de manière d’exécutantes, on est donc dans une semi décentralisation.

Eisenmann estime que dans un système pleinement décentralisateur, différents éléments existes : il faut que la loi et la Constitution protègent les affaires locales. Il faut qu’il y ait un encrage constitutionnel des pôles de compétences des CT. Si les compétences sont définies par le législateur, l’Etat peut donc les récupérer. De plus, il faut que la CT soit compétente pour s’auto administrer, s’auto organiser. Il faut des véritables compétences de projets, de décisions, de prospections et de conceptions. D’autre part, l’Etat ne pourrait récupérer les compétences transférées. Tout transfert serait définitif. Finalement, les normes locales constitueraient un ordre juridique. On peut se demander si la réforme de 2003 a abouti à cette définition d’une stricte décentralisation.

Exemple actuel de l’Espagne où le Parlement catalan a voté un projet d’autonomie. Ce projet doit être étudié devant le Parlement national. Le projet de statut élargi de la catalogne suppose que la région catalogne soit érigée en nation et non plus en nationalité dont le peuple doit déterminer son statut.

On reconnaîtrait une Nation catalogne. Un tribunal serait érigé. Puis, tous les impôts seraient récoltés et gérés par la catalogne. Le texte propose donc d’imposer un Etat fédéral de fait. Ce projet pose donc de graves problèmes politiques car la Constitution devrait être modifiée et on ne serait donc plus dans un Etat unitaire.

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