Pilate, maintenant seule autorité romaine face à sa responsabilité convoque les grands prêtres et les chefs du peuple. Il leur dit qu’il ne trouve aucun motif de condamnation à mort. Pilate veut libérer le Christ et pense même à associer la foule à sa décision en leur proposant de le relâcher.
La fête de Pâques imminente offre l’occasion d’une telle amnistie. Cette décision de le relâcher est cependant immédiatement contestée.
Une décision contestable
Pilate propose au peuple rassemblé de relâcher le Christ ou un certain Barrabas, prisonnier fameux qui a ses partisans dans la foule. Le Christ lui n’a plus personne, Pierre l’a renié trois fois avant que le coq n’ait chanté.
Barrabas est préféré et donc libéré. Puis Pilate, une nouvelle fois, montre son embarra. Il ne trouve aucun motif de condamnation à mort et commande alors le supplice de la flagellation. En droit criminel romain, ce peut être une peine principale ou une peine préliminaire à une crucifixion. Une fois la peine infligée, Pilate s’adresse à la foule « Ecce Homo », « voici l’homme » et demande « que ferais je de celui que vous appelez le Roi des juifs ? » et la foule clame en réponse « crucifie le ». Mais Pilate, réticent incite encore la foule à qualifier le crime commis « qu’a-t-il fait de mal ? » et la foule répète « crucifie le ».
Jean complète ici encore les synoptiques. Les grands prêtres apportent leur concours à la qualification en déclarant qu’il s’est fait le fils de Dieu mais cet aveu ne relève que de la seule sanction du droit mosaique. Et ils ajoutent en s’adressant à Pilate que s’il le relâche, il n’est pas l’ami de césar. Qui se fait Roi s’oppose à césar.
Le texte de jean est là très précis : Pilate amène jésus dehors et dit aux juifs « voici votre Roi ». C’est plus l’homme, c’est le Roi. Il est ainsi livré pour être crucifié.
Cette décision ne s’inscrit pas dans une procédure d’exequatur rendant exécutoire le jugement de Sanhendrin (elle consisterait à confirmer l’exécution d’un jugement antérieure fondée sur les mêmes motifs et donc les mêmes chefs d’accusation). Or devant le Sanhedrin, jésus est reconnu coupable de blasphème et Pilate ne tient pas compte de cette accusation. Il ne retient que le crime de lèse-majesté. Et c’est bien la loi romaine qui est appliquée ici dans toute sa rigueur. Le crime de lèse majesté formulé au Digeste se révèle assez large : c’est le crime qui est commis contre le peuple romain ou contre sa sécurité. Plus loin, un fragment du Digeste précise qu’est coupable de ce crime celui qui transforme en ennemis les amis du peuple romain et comme le Christ avoue être Roi, il porte manifestement atteinte à la majesté impériale. Et ce crime est sanctionné par des peines sévères énumérées par le juriste consulte Paul qui a été retranscrit Digeste « les auteurs de séditions, ou de troubles ou bien sont portés en croix ou sont jetés aux bêtes ou sont déportés dans une île suivant la classe sociale à laquelle ils appartiennent ». La croix est le supplice de l’esclave (venu pour 30 deniers).
Une telle sentence doit être prononcée par le représentant local de l’empereur sans qu’il soit possible d’interjeter appel auprès d’une autorité quelconque. La décision de Pilate a donc toute autorité.
Matthieu ajoute pourtant 2 événements touchant à cette décision :
– le premier concerne le rôle de la femme de Pilate. Elle le met en garde de ne pas condamner le Christ. Il faut comprendre cet événement à la lumière de la mission que Matthieu donne à son évangile. Il s’adresse en effet aux juifs convertis ou en voie de conversion. Il montre que seule une païenne a défendu l’innocent quand la foule revendiquait la mort.
– Le second est le geste célèbre de Pilate se lavant les mains après la décision. Par cet acte il indique à la foule qu’il ne partage pas son sentiment. Ce geste, pour s’exonérer de toute responsabilité figure dans la Bible. Et Matthieu pour souligner ce geste rapporte la réponse du peuple « sur nous son sang et sur nos enfants ».
Cette formule a souvent été invoquée pour faire peser une responsabilité collective sur le peuple juif. Cette phrase est en fait assez courante en Israël et chez les peuples voisins. Par exemple, il est d’usage courant en Egypte pour les transactions commerciales.
De plus c’est le seul évangéliste à rapporter cette phrase et la décision de crucifier est une décision romaine et pas juive. Ca relève spécifiquement du droit pénal romain, c’est un supplice ignoré du droit pénal juif qui lui ne connaît que la lapidation. Et comme pour marquer cette condamnation romaine ce sont des soldats romains, dirigés par un centurion qui emmènent Jésus pour être mis en croix. De même selon l’usage romain, une plaquette de bois attachée au dos du condamné puis accrochée à la croix porte la cause de la peine. L’inscription dictée par Pilate en trois langues (hébreux, latin et grec) est « Jésus le Nazaréen, roi des juifs ». En latin, les initiales donnent INRI.
Les grands prêtres ont protesté auprès de Pilate contre cette inscription. Voulaient que l’on ajoute qu’il avait dit qu’il était le roi de juifs, ce qui démontre peut être leur crainte de voir commettre une hérésie. INRI correspond en hébreux au tétragramme de Yahvé qui correspond au nom de Dieu. Mais Pilate ne cède pas, le motif public reste celui de la condamnation : Jésus est condamné selon le droit romain pour s’être comme roi insurgé contre l’empire.
La crucifixion reste cependant la mise à mort la plus cruelle, la plus déshonorante et les évangélistes ne cherchent pas à réduire ce scandale de la croix, le verbe crucifier est utilisé 8 fois par Marc dans le récit de la Passion. Et la décision prise par Ponce Pilate est pleinement assumée par le monde judiciaire.
Une décision assumée
Le tableau de la crucifixion est une image qui a décorée les salles d’audience pendant de longs siècles. Dès la fin de Moyen Age, le représentation est au cœur des prétoires, sur le mur nord de la grand chambre du parlement de paris. Le retable qui surmonte le siège des conseillers représente le Christ en croix. Ce retable du parlement correspond à un modèle suivi dans tous les tribunaux et parlements provinciaux au point de devenir une composante essentielle du décor judiciaire.
Cette image a survécu jusqu’à la séparation de l’Eglise et de l‘Etat où elle a été interdite. Elle subsiste cependant dans les pays concordataires de l’Alsace Lorraine et dans quelques salles comme la cour d’assise de Rouen ou les chambres civiles de la cour d’appel de Bordeaux.
Les juristes justifient cette présence par l’impératif de certains rituels comme le serment des justiciables qu’ils prennent paumes ouvertes face à cela.
Pourtant la crucifixion est le lieu où le christ est assimilé à l’humanité servile et criminelle, il devient un modèle dangereux à exposer. L’humanité du Christ sur la croix se révèle ambiguë. Elle crée une proximité entre le vrai et le faux crime, entre la justice parfaite et la justice dévoyée.
Mais cette iconographie présente un risque encore plus grand pour la justice. En 1807, dans le procès Zola, quand Clemenceau appelé à la barre prend la parole, il met en garde les juges de l’erreur judiciaire qu’ils sont en train de commettre. Le président lui réplique que l’erreur judiciaire n’existe pas et Clemenceau désigne alors le Christ en croix et lance « la première erreur judiciaire de l’histoire, la voilà ».
La crucifixion du Christ n’est rien d’autre qu’un modèle d’erreur judiciaire. Les hommes osent juger Dieu et le condamnent en plus à la mort la plus abjecte. La fragilité de la justice humaine trouve ici sa plus remarquable expression. « Comme vous jugez, vous serez jugés » matthieu.
Le tableau de la crucifixion met sous les yeux des juges le péril de leur devoir et le risque toujours possible de leur défaillance. C’est un rappel qui doit servir d’avertissement et c’est là sans doute que réside la leçon édifiante de la justice de Pilate.