LA SOLIDARITE EN DROIT CIVIL – PARTIE 5 – 2

2) Les limites de la solidarité nationale

Ainsi, on constate une perturbation majeure dans la mise en œuvre de ces fonds qui consiste à instiller des mécanismes issus de la responsabilité individuelle dans celui de la solidarité nationale qui ne repose pourtant absolument pas sur le même fondement.


Ainsi, la loi du 05/12/85 exclut de l’indemnisation les victimes non conductrices à qui le conducteur pourra opposer deux types de fautes, intentionnelle et inexcusable. De même, la loi du 31/12/ 91 prévoyant le fonds d’indemnisation pour les victimes de transfusions contaminées a posé une présomption de causalité entre la transfusion faite sur la victime et sa contamination par le virus HIV ou hépatite C et ce, afin de faciliter la preuve de la victime. Néanmoins, cette présomption de causalité n’est pas irréfragable et il est possible de rejeter l’indemnisation sur le fondement de la preuve d’une contamination par d’autres moyens. Dans les faits, cela signifie que le fonds en charge du dossier va pouvoir rechercher dans la vie privée de la victime des éléments attestant d’un autre mode de contamination tel que les relations sexuelles ou la toxicomanie. Même si juridiquement, la réflexion porte sur la causalité, en pratique on en revient à l’idée d’une « faute » de la victime qui l’exclurait de son droit à indemnisation, ce qui, au regard des circonstances, ne manque pas de mettre très mal à l’aise et fait relativiser la notion de solidarité nationale.


La seconde limite de cette solidarité nationale se trouve dans le caractère restrictif des plafonds d’indemnisation de tous ces fonds et la lenteur de leur mise en œuvre. Ainsi, la loi du 4 mars 2002, en mettant fin à la jurisprudence Perruche par son article premier posant que nul ne peut sa prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance, a mis en place un régime de solidarité nationale pour compenser le préjudice incluant les charges particulières découlant, toute la vie de l’enfant, de son handicap. Sauf que cette nouvelle prestation de compensation n’est entrée en vigueur que le premier janvier 2006 et qu’il est prévu qu’elle ne s’appliquera en totalité aux enfants qu’à partir du 12 février 2008. Dès lors, la CEDH dans un arrêt Maurice contre France du 6 octobre 2005 a considéré que l’article premier de la loi du 4 mars 2004 était contraire, pour les instances en cours au moment de son entrée en vigueur, à l’article premier du Protocole numéro un de la Convention. En effet, le montant de l’indemnisation qui leur a été accordé sur le fondement de la nouvelle loi ne constitue pas pour la CEDH « le versement d’une somme raisonnablement en rapport avec la valeur de la créance perdue », créance issue de l’ancien régime de responsabilité. La  Cour ajoute « ainsi tant le caractère très limité de la compensation actuelle au titre de la solidarité nationale que l’incertitude régnant sur celle qui pourra résulter de l’application de la loi de 2005 ne peuvent faire regarder cet important chef de préjudice comme indemnisé de façon raisonnablement proportionnée depuis l’intervention de la loi du 4 mars 2002 ». La Cour de Cassation, instigatrice de la jurisprudence Perruche, a immédiatement pris acte de cet arrêt en considérant dans un arrêt de la première Chambre civile du 24 janvier 2006 que la loi du 4 mars 2002 n’était pas applicable aux dommages nés avant son entrée en vigueur.


Dès lors, si la solidarité nationale existe d’un point de vue théorique, le constat est, dans les faits, quelque peu décevant. Ainsi, s’il existe en droit civil une réelle solidarité fondée sur une idée de communauté entre les individus, il se développe aussi en parallèle, un ersatz de solidarité aux effets beaucoup plus limités, ce qui est parfois justifié en raison de l’absence de fondement et parfois regrettable comme en matière de solidarité nationale. En effet, il serait dommage que la solidarité entre les citoyens ne soit qu’un concept creux. Dans une société de précarité et donc de fragilisation du lien social, la solidarité n’est pas seulement nécessaire, elle devient une véritable valeur démocratique.

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