A) L’incitation à l’altruisme au sein de la sphère familiale
La famille est considérée, avec le contrat et la propriété, comme un pilier de la société intéressant, de fait, le droit pénal du fait de son objectif de protection de l’intérêt général. Dès lors qu’il apparaît que la cohésion sociale repose en partie sur la cohésion familiale, il appartient au droit répressif de garantir cette dernière. La cohésion familiale est donc une valeur sociale protégée par le droit pénal et à la base de cette cohésion, on trouve l’idée d’une solidarité entre les membres d’une même famille. En garantissant cette solidarité entre personnes liées par des liens familiaux (liens entendus plus strictement aujourd’hui du fait des évolutions sociales de la famille), le droit pénal protège la stabilité familiale et, partant, la stabilité sociale. Or, la solidarité familiale s’entend de l’aide mutuelle que s’apportent les membres d’une même famille, aide motivée par le seul souci de l’autre, il s’agit, en d’autres termes d’altruisme.
L’incitation à l’altruisme au sein de la famille passe le plus souvent par le biais du droit civil. Ce dernier pose les modalités de la solidarité familiale et il revient au droit pénal, droit sanctionnateur, de garantir leur effectivité. Ces incriminations prennent alors toujours la forme de la sanction d’une abstention par l’individu d’un devoir issu de la solidarité familiale. On trouve, en la matière, le délit de délaissement de mineur et deux formes d’abandon.
Ainsi, le délaissement de mineur de quinze ans (227-1 et 227-2) consiste dans le fait pour un parent de se soustraire à l’obligation de prendre soin de ses enfants, peu importe que cette démission ait eu pour conséquence une atteinte à l’intégrité physique de l’enfant. Dans la catégorie des abandons, on trouve l’abandon de famille prévu à l’article 227-3 qui consiste dans « le fait pour une personne de ne pas exécuter une décision judiciaire ou une convention judiciairement homologuée lui imposant de verser au profit d’un enfant mineur, légitime, naturel ou adoptif, d’un descendant, d’un ascendant ou d’un conjoint une pension, une contribution, des subsides ou des prestations de toute nature dues en raison de l’une des obligations familiales ». Nous sommes, ici au cœur, de l’altruisme familial. C’est, en effet, la présence de liens familiaux qui vient justifier l’existence d’une obligation altruiste c’est- à-dire une obligation pécuniaire imposée à l’individu dans le seul but du bien de son parent. Dès lors que l’exécution de cette obligation n’est pas spontanée, le droit pénal intervient pour sanctionner et, de là, inciter à l’exercice de ce devoir familial. On trouve, enfin, le délit d’abandon scolaire d’enfant (227-17-1 et 227-17-2) créé par la loi du 18 décembre 1998 qui vient sanctionner l’abstention par les parents de leur devoir d’inscrire leurs enfants dans un établissement d’enseignement.
Par ces trois types de délits, le droit pénal intervient pour sanctionner l’absence d’exécution d’une obligation due au titre de la solidarité familiale. On retrouve une forme d’incitation à l’altruisme familial un peu particulière pour ce qui concerne deux types d’atteintes à l’action de justice. Il est, en effet, prévu, à l’article 434-1 la sanction d’une abstention de dénonciation pour toute personne « ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés ». Ainsi, aussi, il est prévu à l’article 434-6 une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euro d’amende sanctionnant « le fait de fournir à la personne auteur ou complice d’un crime ou d’un acte de terrorisme puni d’au moins dix ans d’emprisonnement, un logement, un lieu de retraite, des subsides, des moyens d’existence ou tout autre moyen de la soustraire aux recherches ou l’arrestation ». Or, les membres de la famille sont écartés du domaine d’application de ces deux incriminations. Il n’y a donc pas d’obligation de dénonciation au sein de la famille (entendue d’ailleurs assez largement pour l’article 434-1) et pas d’incrimination du recel de malfaiteur. On pourra objecter que le fait de ne pas dénoncer ou d’aider un criminel ne constitue pas à proprement parler un acte altruiste mais on retrouve tout de même l’idée d’une protection très forte de la cohésion et de l’entraide familiale Par la dépénalisation, le législateur montre qu’il préfère avantager l’acte tourné vers un intérêt privé qui rejoint l’intérêt général de protection de la famille plutôt que l’intérêt de la justice. Ainsi, l’incitation à l’acte altruiste au sein de la sphère familiale ne se justifie que parce que le but poursuivi par l’acte généreux et désintéressé est identique à l’objectif du droit pénal qui est de maintenir la cohésion familiale permettant une certaine stabilité sociale. C’est cette même coïncidence entre cet acte d’ordre privé et intérêt général qui vient justifier l’incitation à l’acte altruiste hors de la sphère familiale.